Don d’organes : un peu de soi pour réparer les autres
Article paru dans Paris Normandie le 6 novembre 2016
Alors que la législation sur le don d’organes change au 1er janvier prochain, et que le très beau film tourné au Havre « Réparer les vivants », de Katell Quillévéré adapté du livre éponyme de l’écrivain havraise Maylis de Kerangal, vient de sortir au cinéma, les spécialistes rappellent l’importance de ce geste altruiste. En Normandie, les hôpitaux de Rouen et de Caen sont habilités à pratiquer des greffes d’organes.
Ce n’est qu’un petit changement. Presque une modification sémantique. Mais, à compter du 1er janvier 2017, chaque Français deviendra automatiquement donneur d’organes : « Après de vifs débats, le décret 2016-1118 du 11 août 2016, (relatif aux modalités d’expression du refus de prélèvement d’organes après décès), ne devrait pas bouleverser fondamentalement les choses », tempère le docteur Gérald Viquesnel, médecin de la coordination hospitalière des prélèvements d’organes et de tissus du centre hospitalier universitaire (CHU) de Caen. « Certes, il recentre l’abord des proches sur la recherche d’une opposition du défunt à un prélèvement d’organes – et non l’avis personnel ou une autorisation des proches – et précise les différentes modalités d’expression de ce refus », continue-t-il.
« On risque plus d’en bénéficier que de le subir »
Car, s’il reste plus que jamais primordial pour de nombreux patients – 21 378 personnes attendaient une greffe en France en 2015 contre 20 311 en 2014 – le don est, par essence, non contraint. Et le décret encadre également ce droit : « En effet, il stipule que toute personne peut exprimer son refus soit en s’inscrivant sur le registre national des refus (RNR) (à partir de 13 ans), soit par un écrit daté, signé, dûment identifié et confié à un proche, soit par oral à un proche, proche qui devra transcrire par un écrit signé, le contexte et les circonstances de ce refus, ajoute le spécialiste caennais. Mais, quoi qu’il en soit, en l’absence d’inscription sur le RNR ou d’écrit du défunt (ce qui représente la grande majorité des situations), l’abord des proches restera humainement essentiel et incontournable. »
« C’est un geste de solidarité dont on risque plus de bénéficier que de subir », confirme Edgar Menguy, médecin coordonnateur des prélèvements et greffes du CHU de Rouen et docteur en réanimation chirurgicale. Avec cinq infirmières coordinatrices et un technicien d’études cliniques, la base « Cristal » est mise à jour quotidiennement, presque même en temps réel. La base « Cristal » ? Un outil informatique créé par l’Agence de biomédecine permettant de gérer toutes les informations liées à une demande de greffe.
Et les demandes sont nombreuses quand les délais ne sont pas extensibles. Alors, chaque jour, le point est fait dans les services de réanimation. En cas de mort encéphalique commencent les démarches, toujours difficiles dans ces conditions, auprès des proches. Ces moments pénibles où, à la douleur du deuil, s’ajoutent des questions parfois mal perçues par les proches des patients décédés. Autant de moments qu’évoque avec justesse le film Réparer les vivants – et livre dont il est tiré – en salles depuis le 1er novembre. S’il n’a pas vu le film, Edgar Menguy connaît bien l’œuvre, tant le roman originel que son adaptation au théâtre par Emmanuel Noblet, issu du conservatoire de Rouen : « C’est une approche sensible d’un sujet difficile, délicat, commente le coordonnateur rouennais. Une approche positive dans la prise de conscience du grand public, dans la mesure où tout est juste médicalement. »
Manier l’approche médicale et l’humain tout en gardant un œil sur les minutes qui défilent. Chaque seconde compte : après le décès encéphalique, les équipes médicales ont peu de temps pour intervenir. Les délais d’ischémie sont variables selon les organes. Le cœur, c’est quatre heures. Tous les moyens de transport possibles sont donc mis à disposition des équipes de coordination dès que le dispositif est validé.
Seuls les hôpitaux de Rouen et de Caen peuvent pratiquer les greffes d’organes. Le premier à pratiquer a obtenu l’autorisation de prélever 49 donneurs et a pu réaliser neuf greffes cardiaques et 74 greffes rénales.
« Tout citoyen a droit à cette chaîne hallucinante »
Le second réalise en moyenne soixante à soixante-dix greffes chaque année (58 greffes rénales – dont deux avec un donneur vivant – et neuf greffes cardiaques ces derniers mois). Une centaine de donneurs – dont la moitié au seul CHU caennais – sont recensés dans les départements de la Manche, de l’Orne et du Calvados. « À ce jour, il y a cent dix-huit personnes en attente d’une greffe de rein et trois en attente d’une greffe de cœur sur ces trois départements », vérifie Gérald Viquesnel.
En revanche, s’ils ne peuvent greffer, d’autres centres hospitaliers sont habilités à pratiquer des prélèvements d’organes et/ou de tissus (cornée), tels ceux d’Alençon-Mamers, Avranches-Granville, Cherbourg, Flers, Saint-Lô ou encore Évreux (Seine-Eure), Le Havre (où ont été tournées quelques scènes du film) et Dieppe. Un mécanisme complexe qui se met en branle pour sauver des vies : « Tout citoyen a droit à cette chaîne hallucinante qui s’organise pour prolonger une vie », confie d’ailleurs la réalisatrice Katell Quillévéré (lire par ailleurs). Et cette solidarité-là, si elle ne coûte rien, elle n’a pas de prix.
ANTHONY QUINDROIT
a.quindroit@presse-normande.com
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